Partie 1 – Aidance & emploi : quelle valorisation des compétences ?
Soins, accompagnement à l’éducation et à la vie sociale, démarches administratives, coordination, soutien psychologique… sont autant de formes que peut prendre une aide apportée à un proche malade et/ou en situation de handicap. Ces expériences d’accompagnement amènent les aidants à acquérir et développer une expertise, à la croisée de l’expérience et des connaissances. Mais bien -trop- souvent, les proches aidants sont victimes de préjugés, minorant voire balayant toute existence d’une expertise. Et cela est souvent déterminant dans un sentiment de limitation de leur place et rôle au sein de la société.
Une expertise ignorée
Cette absence de considération de l’expertise s’est révélée criante depuis le début de la pandémie de Covid-19 : ni concertation, ni co-construction des mesures relatives à cette gestion de crise avec les citoyens. Et ce, en dépit d’une vingtaine d’années de progrès accrus en matière de démocratie sanitaire, ou bien encore d’un avis du comité consultatif national d’éthique – CCNE – qui, dès mars 2020, rappelait l’importance d’associer les usagers à la communication de crise. Les proches aidants l’auront été bien moins encore. Ce faisant, nous nous sommes privés de leurs expertises : nombre d’aidants avaient déjà, bien avant la Covid-19, vécu des crises – de différentes natures -, des confinements, mis en œuvre des gestes barrières identiques à ceux recommandés aujourd’hui. Ce qu’ils pouvaient nous transmettre a été ignoré. Or, reconnaître et valoriser ce qui est de l’ordre de l’expertise et des compétences relève d’une considération essentielle pour ne pas enfermer les aidants dans un rôle, et ne pas confisquer leurs paroles, les coupant d’une forme d’expression de leur lien à la société. Ce qui nous conduit à (re)poser cette question de fond : quelle reconnaissance la société est-elle prête à accorder à ces expérience et expertise, et compétences induites ?
Oui, les proches aidants acquièrent et développent des compétences !
En entreprise, des actions en faveur de la conciliation vie d’aidant-vie professionnelle pour les personnes en activité professionnelle se développent. En revanche, la question de l’accès ou du retour à l’emploi des proches aidants est bien moins investie, révélant ainsi les failles de notre système à aborder la question des compétences acquises par la personne qui aide ou qui a aidé.
Afin précisément de recueillir et écouter les paroles de proches aidants sur le sujet de l’aidance et de l’emploi, l’Association Française des Aidants, en partenariat avec AG2R LA MONDIALE, a soutenu la mise en œuvre d’une étude qualitative intitulée « Aidance et emploi : une approche psychosociale des parcours et trajectoires de proches aidant·e·s». Réalisée par des étudiants du Master de psychologie sociale parcours Représentations Sociales, Pratiques et Interventions de l’Université de Bretagne Occidentale, elle nous a permis de mieux comprendre ce qui était mis derrière le terme « compétences » (1). Trois dimensions de ce qui fait une compétence, telle qu’entendue de manière générale dans les milieux professionnels, sont ressorties des entretiens menés auprès de personnes en activité professionnelle et sans emploi (2).
D’abord, tout ce qui relève des savoir-être (des comportements relationnels) au travers de qualités sollicitées dans leur activité d’aide : « patience, écoute, empathie, résistance, adaptation, persévérance, organisation, relativiser, bienveillance, amour, recul, sensibilité, attention, compassion, dévouement, disponibilité, soutien, enrichissement, s’endurcir, humanisme ».
Savoir-faire également(ce qui relève des pratiques). Être proche aidant amène à gérer un quotidien complexe, souvent fait d’imprévus. Et cela demande à la fois de pouvoir organiser, anticiper, coordonner…et surtout s’adapter ! Les relations au proche malade, au reste de l’entourage, aux professionnels ne sont pas toujours simples et linéaires.
Et enfin savoirs (au sens de connaissances), notamment en ce qui concerne les acteurs et rôles des acteurs du médico-social, du sanitaire, des aspects de la législation, etc.
Des compétences transférables dans d’autres activités que le soin
Accompagner un proche malade au quotidien amène le plus souvent à développer une expertise en lien avec l’aide et le soin. Et pour beaucoup de personnes interrogées dans le cadre de cette étude, les compétences développées ne pourraient être reconnues que dans le domaine du médico-social et du soin à la personne.
« Qu’est-ce que je vais pouvoir faire ? (…) Faire ce que je fais avec Camille. Donc je deviendrai à mon tour, aide à domicile, chez les autres. (…) Mais je ne me vois pas faire autre chose. (…) je pense que je resterai dans ce champ-là. »
Pour autant, l’expertise des proches aidants ne se limite pas à ce domaine. Et les compétences développées peuvent être mobilisables et utiles dans bien d’autres circonstances. Coordination, gestion budgétaire, etc. Autant de compétences qui comptent dans une vie professionnelle.
Accompagner les proches aidants dans l’élaboration des choix, en ayant toujours la boussole de la capacité à agir, c’est également travailler à ce que la reconnaissance des compétences acquises par les proches aidants ne soit pas sujette à d’autres formes d’assignation. À la fois pour les aidants en activité professionnelle et également ceux qui, sans emploi, souhaiteraient (re)venir sur le marché du travail. En ce sens, travailler à accompagner aux réinsertions dans la vie active nécessite d’accompagner à l’émergence de potentialités. Et dans un premier temps, à la reprise et/ou au renforcement de la confiance en soi, première étape d’un cheminement, permettant ensuite l’identification des expertises et compétences.
« Certes j’ai besoin de retrouver mon travail, mais on a aussi besoin d’un accompagnement (…) on reste tout de même fragile ».
Une fille aidant sa mère indiquait « Je pense que ça ne peut que m’aider d’aller voir ce qu’on peut me proposer (…) toute seule je n’ai pas l’impression que j’arrive à quelque chose (…) peut-être parce que j’ai perdu confiance en moi »
Accompagner – et non imposer – les souhaits de réinsertion
Dans le cadre de cette étude, des aidants ont exprimé souhaiter un accompagnement au moment de leur réinsertion dans le milieu professionnel. Et se pose alors la question : « vers qui se tourner ? ».
« On a besoin, c’est comme une reconversion, c’est comme une nouvelle vie, on a besoin de l’avis de tout le monde, on a besoin de spécialistes. »
« Je ne vois pas bien par quel professionnel on pourrait être aidé. »
« Je n’ai peut-être pas frappé aux bonnes portes, je ne sais pas qui peut nous aider. Je ne sais pas, on ne le sait pas. »
Là aussi, un des enjeux est la visibilité et la lisibilité des acteurs pouvant accompagner à ce cheminement délicat, sans tomber dans des écueils de nature injonctifs. Ce travail ne saurait qu’être que collectif. Et il n’en est qu’à ses prémisses.
(1) 24 entretiens semi-directifs, par téléphone, du 15 novembre au 4 décembre 2019. Parmi les personnes interrogées, 10 sont en activité professionnelle et 14 ne travaillent pas. Tous les verbatims cités sont extraits de l’étude mentionnée. Et nous remercions chaleureusement toutes les personnes qui ont contribué à cette réflexion.
(2) Quelques données à titre de repères statistiques : 47 % des aidants occupent un emploi ; 7 % sont au chômage et 8 % n’occupant pas d’emploi (hors retraités et étudiants) déclarent ne pas le faire précisément parce qu’ils aident leur proche (Source : Amandine Weber, données de cadrage concernant les deux enquêtes Handicap-Santé-Ménages et Handicap-Santé-Aidants, 2008). 40 % aidants de personnes de plus de 60 ans sont par ailleurs actifs. (Source : Les proches aidants des seniors et leur ressenti sur l’aide apportée, DREES, novembre 2019).
Gwenaëlle Thual, Présidente de l’Association Française des Aidants
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