Bonjour,
Ma maman âgée de presque 80 ans nous a quitté le mois dernier. Je peine à l'écrire tellement cette réalité m'est difficile à accepter.
Aidant durant plus de 4 ans, une partie de ma vie s'est arrêtée avec son décès. J'ai eu le bonheur de l'accompagner jusqu'à la fin, tout en continuant à travailler.
Mes semaines étaient partagées en 50% pour moi et mon travail à Paris (4 j et 3 nuits) et 50% pour maman (3 j et 4 nuits) à Lille. Sans compter les semaines entières dédiées aux visites médicales, les congés, les hospitalisation où je pouvais alors rester 7j/7 chez maman.
Présent ou à distance, j'assurais 24/24H la coordination des intervenants, la surveillance de l'état de maman (4 appels par jour + caméra lorsque j'étais à Paris), les visites médicales, les courses, le ménage, les petites sorties en fauteuil, le chien, les lessives, les médicaments, les chutes, les appels à passer en urgence pour passer relever maman...
Au fil du temps et de la dégradation de l'état de maman (polyarthrite, AVC en 2020, chutes nombreuses avec anticoagulants, perte d'autonomie et de mobilité, COVID en 2023), j'ai développé un hypercontrôle. Je maîtrisais bien sûr l'aspect matériel dans l'organisation de son quotidien, mais j'ai également cru pouvoir contrôler sa santé. A plusieurs reprises, elle est passée prêt de la fin, mais à force de volonté, de soutien, de présence, on s'en était sortis et j'en éprouvais une grande fierté et un attachement encore plus fort.
J'étais devenu assez directif, posant une liste de questions au médecin généraliste à sa visite mensuelle, en interrogeant par mail chaque spécialiste, en intervenant et en contrôlant le travail de l'IDE. Et ce dont je me suis rendu compte récemment, c'est que plus on en fait, en tant qu'aidant, plus les professionnels se reposent sur vous : pour l'organisation, les diagnostics, l'orientation des soins. Et cet hypercontrôle conduit au revers de médaille : l'hyper-responsabilisation et donc l'hyper-culpabilité.
En effet, ma maman était sous coumadine. Globalement la cible de l'INR était sous contrôle, avec un contrôle tous les 15 jours, conformément au protocole de la coumadine. Lors d'écarts, j'avais pris l'habitude de prendre en charge l'alerte, et de voir avec l'IDE l'adaptation du traitement pour permettre de baisser ou d'augmenter l'INR. Ces derniers mois, il y avait parfois des écarts, que personne n'expliquait, mais qu'on contrôlait.
Et puis, suite à plusieurs résultats continus satisfaisants, l'IDE ne réalisait plus que des bilan INR tous les 15 jours, jusqu'à la semaine de Pâques, où en raison du lundi férié et puis le jour suivant d'une erreur de flacon de prélèvement (date de flacon expirée), l'INR n'a été analysé à +17j, en révélant une explosion du taux.
Le soir même, la vitamine K a été prescrite, mais le lendemain à la mi-journée, une hémorragie cérébrale est intervenue, à la maison, sans crier gare (aucun symptômes préalables). Je suis rentré de Paris pour me rendre à l'hôpital et j'ai accompagné Maman dans sa dernière nuit, avec sédation profonde. Une épreuve que j'ai réussi à surmonter, ainsi que les obsèques, en lui parlant, en priant, et en nous entourant tous les deux d'amour, de lumière et de paix.
Mais aujourd'hui, après un mois, le règlement de ses affaires, je m'écroule.
D'une part, évidemment parce que la personne que j'aime le plus au monde est partie. Ma maman que je chérie tant.
D'autre part, parce que je perds mon statut d'aidant. Un rôle difficile, très difficile. Je n'ai pas pris de vacances depuis 4 ans. Mon frère et ma soeur n'ayant jamais proposé de prendre la place, ne serait-ce que 15 jours. Mais pourtant, un rôle d'une humanité profonde, qui m'a permis de profiter de ma maman et de n'avoir aucun regret à ce niveau là. Un rôle qui m'a permis aussi de rencontrer des auxiliaires, des soignants, des voisins, et de vivre une vraie sociabilité à travers ma maman. J'ai été heureux d'évoluer dans ce monde et d'avoir autant d'échanges riches, même si ma vie personnelle et professionnelle, se sont, en contrepartie, appauvries. Pour rien au monde je n'aurais changé une virgule de cette histoire. Et aujourd'hui, je perds tout ce petit monde, puisque j'ai du rendre le logement de maman et quitter la région.
Enfin, je me sens responsable d'un défaut de vigilance médicale. A 48H près, je m'imagine que le résultat de l'INR aurait pu être un peu moins élevé et des actions correctives entreprises en amont, pour éviter le pire. Je m'en veux de ne pas avoir demandé à l'IDE de réaliser le prélèvement le vendredi en prévision du lundi férié. Je m'abstenais de trop intervenir dans l'agenda de l'IDE car je pense qu'elle contrôlait correctement l'INR. Et que de manière globale, elle faisait plus que ce qu'elle était censé faire (elle passait en fin de service, pour justement passer plus de temps avec maman, elle intervenait parfois la nuit en cas de chute...). Je ne sais pas si je dois m'en vouloir à moi, ou à l'IDE. Je ne cherche pas à enclancher une responsabilité quelconque. Mais je me reproche très clairement de ne pas avoir été plus vigilant sur cet examen de l'INR qui était devenu une routine. Et a J+17 on est clairement au delà de la limite des 15j. Je me répète en boucle cela. Le Docteur et l'IDE m'expliquent que j'ai été au-delà de mon rôle d'aidant et que je suis devenu aussi soignant, mais que je n'étais pas à ma place et que à force de contrôler, j'endosse la responsabilité qui ne m'incombe pas.
Pour eux, le corps de maman était usé par les multiples traitements (coumadine, statines, bisoprolol, antiépileptiques, antidépresseur, biothérapie Lorencia, etc..), et elle-même était fatiguée, las, et ennuyée par la vie. Elle voulait partir. Elle s'est accrochée pour moi, car je n'étais pas prêt à la perdre, mais la perte de son autonomie lui était trop difficile à supporter et elle ne voulait plus que je me consacre autant à elle, à mon âge (40 ans).
J'ai pourtant du mal à accepter qu'elle n'ait pas atteint l'âge d'espérance de vie des femmes en France (84 ans). Je sais, c'est absurde. Mais pour moi c'est comme si il y avait là une injustice. J'étais là pour l'accompagner. J'avais créer un cadre de vie agréable, entouré et sécurisé. Elle n'avait pas de cancer, mais de nombreux antécédents. Mais je n'avais pas conscience que les antécédents étaient finalement des pathologies latentes qui en s'additionnant conduisent au décès. Pour moi, antécédents = situations passées et réglées.
Toutes ces pertes : maman, rôle d'aidant, le contrôle de ma vie et de celle de maman, et de sa santé, de notre maison, du foyer, sont impossibles à intégrer. Ecrire me permet de graver mon état d'esprit actuel, mais sans rien résoudre. Et c'est surtout mon sentiment de culpabilité, la possibilité de changer les choses par une petite action, qui me hante et me pousserait, si elle insiste trop, à ne plus vouloir vivre. J'aurais du demander ce contrôle INR plus tôt.
Alors je lis énormément de témoignages sur les forums. J'essaye d'intégrer le caractère incontrôlable de la vie et de la mort, tous les accidents, les approximations, les retards de diagnostics, les erreurs, qui conduisent à des situations irréversibles. Ca m'aide le temps de la lecture au moins, à me sentir moins seul dans ce sentiment de culpabilité et d'injustice.
Si je poste ici sur le forum des aidants, c'est que si j'ai endossée la responsabilité d'aidant, j'ai assumé seul le choix de maintenir maman à domicile. J'en ai assumé les conséquences en ayant en même temps pleine conscience du temps compté et du bonheur de pouvoir profiter de notre relation. Une relation qui évoluait. Une complicité très très forte. On allait chez la kiné ensemble en faisant nos exercices en même temps. Nous rigolions et la kiné était admirative de notre énergie et de notre bonheur. J'ai eu la pleine reconnaissance de maman, et ça me suffit. Mais en revanche, aucun remerciement de la société. mon rôle est terminé. A moi de retrouver une place et d'assumer seul, encore une fois les remords et regrets de la situation que je n'ai pu maîtriser.
Je tourne un peu en rond en vous écrivant, mais je veux simplement dire qu'être aidant est un don de soi magnifique, enrichissant et en même temps qui conduit à une grande solitude et à une chute vertigineuse à la fin. Je n'aurais délégué ce rôle à personne. En revanche, qu'il se solde par l'échec de ce manque de contrôle de l'INR me fait mal à en crever. L'aidant n'est pas omnipotent, ni omniscient, ni omniprésent. Et c'est ce que je ne parviens pas à intégrer, à comprendre.
Je remercie les membres du forum et l'équipe des écoutants qui apportent toujours des mots mesurés et pertinents aux situations si difficiles que nous traversons tous.
Pat