Aider un proche c’est aussi vivre des moments riches et privilégiés

Aider un proche c’est aussi vivre des moments riches et privilégiés


Nous le savons, être proche aidant a un véritable impact sur la santé, la vie professionnelle, personnelle et sociale. Mais être aidant, c’est aussi vivre un moment privilégié, hors du temps, l’occasion de se retrouver et d’échanger des paroles que l’on n’aurait sans doute jamais confiées sans l’urgence de ce moment partagé. Alors d’accord, il s’agit bien de la face B du disque. Mais c’est aussi ça qui nous sert de carburant quand l’accompagnement est plus difficile.

Nous avons rencontré Sylvana, proche aidante pendant 18 mois de son papa qui souffrait de la maladie d’Alzheimer et dont elle s’est rapprochée, selon elle, « grâce à la maladie ». Elle témoigne des « richesses de la relation d’aide ».

Comment a été décelée la maladie de votre papa ?

Un diagnostic posé tardivement. C’était en 2017. Ma maman, encore en activité, manquait de sommeil, épuisée nerveusement, devant tout gérer toute seule… Je ne pouvais pas rester passive face à ce que vivaient mes parents. Ils habitaient en province et moi, Paris. J’ai donc fait une pause professionnelle et j’ai décidé de les rejoindre. Dans un premier temps, c’était avant tout pour aider ma mère.

Quelle relation aviez-vous avec votre père ?

Je n’étais pas très proche de lui. Il était très autoritaire. Jusqu’à ma majorité, je n’avais pas le droit de faire grand-chose. Les rapports ont toujours été difficiles même si on avait quelques points communs : notre humour, le jeu, la danse.

Mais cette expérience m’a permis de vivre des choses extraordinaires avec lui rattrapant ainsi des années de non-partage. Je me suis aperçue que je lui ressemblais beaucoup et qu’on s’est certainement raté. C’est dommage mais au moins, on s’est retrouvé à ce moment-là. J’ai pris ça comme un cadeau de la vie.

Une parenthèse enchantée ?

Oui. J’étais open ! S’il voulait faire dix parties de scrabble par jour, j’étais partante ! 

Tout mon temps lui était consacré. J’ai trouvé ces temps merveilleux. On passait des heures entières dans le jardin. On était assis côte à côte, avec les pieds en l’air, et on se moquait l’un de l’autre. Il était complètement désinhibé. 

Il me prenait parfois la main et me disait « oh merci mon ange ». Ce qui n’aurait jamais été possible avant la maladie ! 

Il est décédé d’une insuffisance respiratoire quelques mois après avoir fêté ses 80 ans. La maladie, dont les premiers symptômes étaient apparus en 2013, s’est beaucoup accélérée pendant mon accompagnement. 

Qu’est-ce-qui a rendu possible ce moment hors du temps ?

Tout d’abord, j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir lui consacrer tout mon temps. Maman s’occupait de la partie logistique et moi de la partie stimulation cognitive. Nous pouvions nous relayer toutes les deux. Financièrement, j’ai eu une opportunité incroyable : lors d’une formation sur la maladie, j’ai rencontré une dame qui, avec son héritage, a souhaité m’aider à accompagner mes parents et m’a versé une somme d’argent conséquente chaque mois pendant 9 mois. Grâce à elle, j’ai accompagné mon papa jusqu’au bout. Je l’en remercie encore.

Ensuite, il avait perdu son côté autoritaire notamment parce qu’il avait besoin de notre aide. Mais attention, il avait encore son tempérament et c’est ça qui nous aidait d’ailleurs : garder en tête que la personne est bien là. Je ne l’ai jamais vu autrement que comme mon papa. Certes, il avait besoin qu’on l’accompagne mais pas comme un malade. 

Et puis, je me suis appuyée sur son parcours de vie. C’est vrai qu’il pouvait avoir des comportements étranges liés à sa maladie mais lorsqu’on connait bien la personne, on peut en comprendre les raisons. Ce qu’il faisait, pour lui, avait un sens.

Vous avez des exemples ?

Je me souviens d’une fois où il a fait une purée avec les légumes du déjeuner et qu’il l’a étalée avec sa petite cuillère. Ce n’était pas très appétissant. Mais après réflexion, il reproduisait le geste du maçon qu’il avait été toute sa vie. Il était là mon papa !

Ou alors, il aimait jouer mais pas du tout perdre. Alors il trichait beaucoup. Très bien avant la maladie mais de moins en moins bien ensuite. Il trichait ouvertement et utilisait de plus en plus de mots italiens au scrabble. Toutes les stratégies étaient bonnes pour ne pas perdre ! Là aussi c’était lui. 

Son travail était sa vie. Il se réveillait la nuit pour aller sur son chantier. Il a même sauté par la fenêtre de la cuisine pour aller bosser. J’aurais pu être contrariée ou me mettre en colère d’autant plus qu’il chutait beaucoup et que je me suis souvent levée la nuit pour le relever ou pour aller aux urgences… 

Mais c’était lui et c’est ça qu’il faut avoir en tête. Ça aide à supporter ces actes parfois si peu logiques ou déraisonnables. 

Et puis, il y avait la danse. Ça a toujours été notre moyen de communication. Même les années où on ne s’entendait pas. La musique est un outil très efficace pour les personnes avec des troubles cognitifs. Quand il était tendu, ça désamorçait les tensions. À ce moment-là, il ne dansait plus, mais il se levait et faisait des mouvements. La musique renvoie aux souvenirs, aux émotions. Encore une fois, il faut s’appuyer sur le parcours de vie.

On se servait beaucoup de l’humour aussi. Il était moqueur et cette moquerie, je l’ai vue très tard dans ses yeux.

Certaines situations étaient comiques et ses réponses étaient de véritables répliques de film à l’humour décalé. Un jour, il était sorti dans la rue avec son déambulateur. Il pensait partir au travail avec sa brouette. Mais comme c’était drôle. J’étais triste pour lui mais en même temps que faire à part le prendre avec humour et bienveillance ? Je le trouvais touchant.

Maintenant, vous accompagnez votre maman.

Oui elle souffre d’une polyarthrite. Elle a la marche très douloureuse. Et puis, elle a perdu mon papa, elle a dû déménager… Ça fait beaucoup. L’accompagnement est plus difficile. Avec ma maman, j’ai l’impression qu’elle va m’avaler en entier. Alors qu’avec mon père, j’avais l’impression de maîtriser. 

Quand on décide d’être aidant, c’est plus facile que de le subir complètement. Il faut juste que j’évite de m’oublier. C’est la difficulté. 

À mes yeux, il n’y a pas de plus belle mission humaine que d’être proche aidant. C’est de la solidarité, du partage, de l’humanité… ça laissera en moi la satisfaction d’avoir partagé. Dans mon parcours d’enfant, d’adolescent j’ai peu partagé avec mes parents. Il y a peu de choses dont je me souvienne. Ensuite, j’ai fait ma vie et je les voyais peu. Ces moments d’aidants m’ont permis d’accumuler une somme de moments partagés et de souvenirs que je n’oublierai jamais. Ils ont été réalisés en pleine conscience. C’est un bagage précieux. 

Une personne, c’est un parcours de vie. Il ne faut pas l’oublier et en tenir compte dans l’accompagnement. Et les dernières années doivent être les meilleures. Il faut tout faire pour que ce soit joyeux. 

Quelques conseils prodigués par Sylvana :

  • Bien connaître la maladie, se former.
  • S’oublier un peu soi. La personne est malade. On a souvent le réflexe de voir ce que l’on perd dans la relation mais il faut penser à la personne que l’on accompagne, c’est elle qui est malade. C’est elle qui perd le plus. Même si c’est dur pour soi.
  • Ne pas oublier que la personne est encore là. Ne pas réduire la personne au malade. 
  • Se garder des moments de répit sans culpabiliser.
  • S’entourer : proches, associations, professionnels…
  • Prendre du recul.
  • Penser aux choses qui nous simplifient le quotidien : changer un matelas, enlever des plantes qui empêchent le passage… adapter l’environnement pour aider la personne accompagnée à ne pas se sentir en situation d’échec, ce qui entraîne des tensions. 
  • Vivre l’instant présent et célébrer les petites victoires.
  • Prendre soin de son sommeil. Comment aider un aidant ? Enlui donnant des heures de sommeil. C’est le plus beau cadeau qu’on puisse lui faire !

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