L’entrée en structure d’hébergement : les réactions souvent vives des malades
Changer de lieu de vie demande à chacun un temps d’adaptation. Or pour les personnes âgées atteintes de la maladie d’Alzheimer ou autres maladies apparentées, et dont le maintien à domicile n’est plus possible, ce changement est d’autant plus important qu’il devient très compliqué pour une personne en phase avancée, de comprendre ce qui lui arrive. A quoi l’aidant doit-il s’attendre lors de cette période de grand changement de vie ? Décryptage.
Comme tout passage, toute transition, il est nécessaire d’accepter que le malade aura besoin d’un temps plus ou moins long afin de se recréer une nouvelle vie, ailleurs : s’y adapter occasionne souvent des réactions.
Réagir, c’est agir en retour à une situation vécue : dans le cas présent, c’est aux aspects de la vie en institution.
Dans le cas des nombreuses pathologies neuro cognitives, l’action en retour est dominée par le fait que le malade n’a plus les capacités d’analyser finement une situation MAIS il absorbe intuitivement un autre type d’informations émanant de l’environnement et qui suscite toutes sortes de réactions.
Les réactions à la vie du groupe
Elles sont habituelles et très fréquentes. Autant de personnalités côté malade et côté intervenants, de règles de fonctionnement, de gestes quotidiens, d’environnement, autant de réactivités, témoins d’un changement radical de mode de vie !
- Réaction à un soin d’hygiène, un change
- Réaction au repas pris en groupe : Bruit, cris, malades en difficultés pour s’alimenter de façon adaptée
- Réaction aux horaires des repas, du coucher
- Réaction aux activités proposées souvent incomprises
- Réaction à la présence des autres résidents, inconnus, suscitant la peur ou l’exaspération
- Etc.
Respecter la réaction, montrer qu’on la comprend, proposer des solutions pour gérer au mieux et croire au facteur Temps ! C’est le travail de l’institution d’accompagner cette adaptation, tout en rassurant les proches.
Les réactions à l’enfermement
Elles sont colériques et fréquentes. Les établissements sécurisés ne le sont jamais assez pour les aidants afin de protéger leur proche ! Mais la privation de liberté vers l’extérieur est difficile à vivre pour ceux qui sortaient, marchaient des kilomètres, même en se mettant en grand danger.
- Demandes véhémentes de sortie, de retour à domicile (ou dans un lieu de vie d’autrefois)
- Valises ou sacs remplis d’objets « de voyage », armoires vidées pour partir
- Violences verbales et physiques pour qui empêche la sortie
- Dégâts matériels causés avec une force incroyable : portes cassées, fenêtres brisées…
- Chantage jusqu’à ce que la demande soit acceptée (refus de manger, de faire sa toilette)
Les stratégies de diversion sur d’autres activités sont efficaces. L’accueil et la validation de cette colère sont incontournables. L’explication franche, mais avec tact de la situation est indispensable : à répéter avec les mêmes mots (par les professionnels et aidants).Un traitement apaisant, de courte durée est parfois nécessaire.
Les angoisses d’abandon
Elles sont anxieuses et dépressives et assez fréquentes. Elles font peser beaucoup de culpabilité et de tristesse sur les proches.
- Recherche du proche, de lieux familiers
- Questions, demande d’aide : « ma fille va venir ? », « on m’a laissée là », « qu’est-ce que je vais devenir ? »
- Pleurs, expressions verbales ou non verbales d’un mal-être (refus d’alimentation, idées suicidaires)
Le maître mot est la réassurance affective. Les longs temps de présence des professionnels et des proches sont peu efficaces, puisque le besoin est immense et permanent. La structuration du nouveau mode de vie avec des points d’ancrage affectifs forts, seule compte.
Un traitement d’une durée variable est souvent nécessaire.
Les interprétations délirantes
Elles sont fréquentes en association avec certains types de réactivité. Les trois types de réactions décrites ci-dessus sont souvent accompagnées d’accusations délirantes à l’encontre du proche : « Tu as voulu te débarrasser de moi », « Ainsi tu vas utiliser mon argent puisque tu m’as dépossédée ». Ces verbalisations peuvent être accompagnées de violences physiques sur le proche. Il est toujours plus confortant pour le malade de rendre l’autre responsable de ce qui lui arrive.
Dans ces cas, il peut être utile d’espacer les visites qui ne font que renforcer la colère, afin que la personne malade ait le temps de prendre d’autres repères, qui lui rendent la vie présente agréable.
Les manifestations réactives difficiles sont désespérantes pour les proches et génèrent une angoisse forte, qui peut remettre en cause l’accompagnement dispensé par la structure.
Les réactions de resocialisation
Elles sont sereines et peu fréquentes dans le premier temps d’adaptation. Certaines personnes retrouvent, de par le contact quotidien des différents personnels soignants et intervenants, la possibilité de redévelopper des compétences simples, mais, oubliées, ainsi qu’une organisation institutionnelle répondant à des besoins (nutrition) et apportant de petits plaisirs de vie.
- Se créer des amis : Il est toujours touchant de constater que des personnes vont créer des liens : même époque de leur jeunesse, souvenirs partagés (alors que les troubles de mémoire sont majeurs !), relations de réassurance affective, partages plaisants.
- Se sentir sécurisé : certains malades qui chutent beaucoup, qui se sont perdus, qui sont très isolés ou maltraités s’apaisent enfin.
- Apprécier de ne plus se faire du souci pour l’organisation du quotidien, source d’anxiété au domicile, et ainsi, accepter de se laisser un peu « porter ».
- S’offrir d’être servis, aidés même pour des soins renoue des liens avec les intervenants du lieu de vie et procure du plaisir à partager.
Les « passages » bien vécus génèrent paradoxalement une anxiété en retour chez les proches : « Va-t-il m’oublier ? », « Elle semble plus apaisée qu’avec moi : qu’est-ce que j’ai fait de mal ? ». Oui, chacun doit se trouver un nouvel équilibre.
Les non réactions
Elles sont émoussées et rares. Elles sont trop souvent interprétées par les proches comme un état dépressif. Dans certaines maladies évoluées avec apathie, il existe un état de gommage affectif, sorte d’indifférence calme. Les personnes qui se présentent ainsi vont savoir exprimer certaines choses, mais le passage en institution ne génère pas de réaction, ni en plus, ni en moins.
Bien sûr les professionnels travaillant dans les structures d’hébergement sont au courant de ces réactions et essayent de les gérer au mieux, pour la sécurité du malade et des autres résidents.
Ces réactions doivent être constatées, prises en compte, expliquées aux proches, accompagnées professionnellement par des moyens humains (écoute, activités, détente), ou des moyens médicamenteux sur une brève période. En effet, les ignorer aurait pour conséquence, lors du temps d’adaptation, un envahissement permanent, ne permettant pas au malade de libérer une partie de son psychisme utile à la structuration de sa vie à venir, privant du même coup les proches d’une sérénité bienvenue.
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