Quand l’entrée en institution impacte l’intimité et la vie privée des personnes âgées
Lors de l’entrée en institution, cette question n’est que trop rarement abordée. Dans les droits de la personne et le respect de son autonomie, celui du respect de la vie privée et de l’intimité est souvent mis à mal par l’institution et les contraintes que la vie en collectivité génère.
Il est admis aujourd’hui que la maison de retraite, l’Ehpad, doit être un lieu de vie. Cette injonction, très théorique, se heurte souvent à une logique liée au niveau de dépendance des personnes accueillies au sein de ces institutions. En effet, les pratiques laissent souvent constater que la logique du soin prend le dessus car, parce que identifiées comme dépendantes, les personnes âgées accueillies doivent se soumettre aux impératifs de l’organisation censée palier la dépendance. Hygiène, sécurité ou encore propreté nous amènent à avoir une approche « sécuritaire » au détriment d’une approche basée sur le choix et le respect de attentes de chacun.
Dès lors, les droits des personnes âgées ne sont plus respectés. L’affichage de la charte des droits des personnes âgées dépendantes en institution ne suffit pas. Les équipes doivent se questionner au quotidien sur le droit d’aller et venir des résidents, leur droit à dire NON, leur droit de choisir leur lieu et leur mode de vie, leur droit au respect de leur vie privée et de leur intimité.
Institution ou domicile ?
Il saute aux yeux, dès l’entrée en institution, que cette question du domicile est mise à mal du simple fait de la vocation de ces établissements qui doivent garantir le respect de l’espace privé mais dans le même temps garantir un environnement suffisamment médicalisé pour accompagner les conséquences de la dépendance. Ce paradoxe oblige à un grand écart qui est très complexe à vivre au quotidien tant pour les équipes que par les résidents. Ma chambre est mon espace privé ; il est donc attendu que j’autorise tout un chacun à y entrer – ou non.
Dans le même temps, je suis dépendant sur certains actes de la vie quotidienne ; des professionnels doivent donc m’aider et me soigner. La présence du professionnel peut être vécue comme une intrusion dans l’espace privé d’une personne âgée dépendante. Combien d’entre elles manifestent leur désaccord quant aux conditions dans lesquelles certains professionnels « prennent possession » sans égard de cet espace privé. Frapper à la porte est un préalable incontournable ; et attendre la réponse l’est tout autant. Etant entendu que dans certaines situations, les personnes ne peuvent pas s’exprimer… Tout est question de mesure et de bon sens.
Imaginons le nombre incroyable de passages de professionnels dans une journée : infirmier, kinésithérapeute, aide-soignant(e), médecin, psychologue, AMP, cadre de santé… Supporterions-nous ce scénario chaque jour durant des mois, voire des années ? Cela doit nous amener à une vigilance extrême sur ce respect de l’espace privé. Plus les professionnels qui interviennent auprès des personnes âgées dépendantes sont nombreux, plus le vécu d’intrusion de celles-ci est présent.
Le respect de l’intimité est un droit que souligne l’article 9 du Code civil
L’intimité est un espace consacré par excellence aux rapports que la personne entretient avec son corps et son « esprit ». Elle est éminemment personnelle. Le caractère subjectif de l’intimité rend son approche complexe et délicate. Les impératifs de la vie en collectivité viennent mettre à l’épreuve le besoin du respect de l’intimité de la personne âgée dépendante.
Si l’on s’attache aux aspects corporels de l’intimité, nous devons alors être attentifs aux questions liées aux soins mais aussi à celles liées à l’affectivité et à la sexualité. Pour ce qui est des soins (dont la toilette fait partie), la dépendance oblige les professionnels à « accéder » au corps des personnes âgées. Au même titre qu’il est attendu de demander l’autorisation d’entrer dans un espace privé, il doit en être de même pour entrer en contact avec un corps qui n’est pas le sien. Une parole, un geste permettent de s’assurer du consentement de la personne quant à l’acceptation du soin, du contact. Le temps de la toilette est particulièrement sensible. La nudité, le sentiment d’être exposé au regard d’autrui peut fragiliser la personne dépendante et peut également générer des réactions ou comportements « dits » agressifs, violents ou d’opposition. Celui ou celle qui a déjà fait l’expérience de voir confier sa toilette à un « autre » sait combien ce moment peut être difficile à vivre.
La question de la sexualité est également à rendre visible dans l’institution. Elle vient « chatouiller » chacun de nous dans son système de valeur. Comment les équipes sont-elles préparées à gérer cette question ? Tomber amoureux, vivre sa sexualité (même en institution) est un des droits fondamentaux de chaque être humain. Les mentalités évoluent favorablement depuis quelques années sur ce sujet. Les obligations en termes de bientraitance oblige les équipes à se questionner sur ces questions et permettent des passerelles avec les familles qui, admettons-le, ont aussi parfois du mal avec ces sujets.
Les personnes âgées dépendantes manifestent souvent leur exaspération d’être infantilisées et d’être perçues comme « dépendantes » avant d’être reconnues en tant que « Sujets ». Le système d’accompagnement de la dépendance met à mal ce droit au respect de la vie privée et de l’intimité du fait de la collectivité et de la médicalisation grandissante au sein des Ehpad. A chacun de nous, familles et professionnels, d’être vigilants dans nos approches et pratiques au quotidien. Gardons à l’esprit que le respect de ce droit est un élément essentiel au bien-être de nos aînés.
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