Partie 2 – Elisabeth, une aidante qui a su s’occuper d’elle pour tenir le coup !
Voici la suite du témoignage d’Elisabeth, qui vit à Paris avec son mari Georges atteint de la maladie d’Alzheimer depuis 4 ans.
Comment envisagez-vous l’avenir ?
D’après les médecins et d’après les statistiques, avec ce type de maladie, au bout de 4 ans à domicile, il faut envisager le placement. J’y pense bien sûr. Je vois bien qu’il baisse très vite. Il ne reste pas grand chose du mari que j’ai connu.
En ce moment, je réfléchis. Je pense peut-être rejoindre ma fille dans le sud au bord de la mer et trouver un établissement pour mon mari à côté. J’ai deux petits-enfants adorables et j’aimerais bien pouvoir en profiter, m’en occuper. Je pense aussi à un foyer-logement avec mon mari. L’avantage, c’est qu’on ne serait pas seuls. Je pourrais faire des choses avec les autres résidents. On pourrait parler, s’entraider.
J’anticipe. Je ne veux pas être prise au dépourvu alors je me renseigne. Je verrais comment les choses évoluent et ce qu’en pensent les médecins et le généraliste qui suit mon mari. Ce sont des maladies terribles vous savez !
Vous dites qu’il y a des hauts et des bas. Comment les gérez-vous ?
Des hauts et des bas, oui, quelques fois je suis découragée. Quand on se dit que ce ne sera plus jamais comme avant, il faut faire son deuil mais c’est dur. Parfois je suis déprimée de savoir qu’on va vers le mauvais côté des choses. On aimait des choses en commun mais on ne peut plus rien partager. Ça ne l’intéresse plus.
J’ai des périodes de cafard aussi, le week-end surtout. Vous savez, je suis très croyante, je suis bretonne ! Je vais à la messe et je sers aussi la messe à la maison de retraite. Sinon, je fais des chapelets, des prières. Ça m’aide beaucoup de croire en Dieu. Alors quand je suis déprimée, je me dis qu’un jour Dieu va me sortir de là. Je sais qu’un jour, ça arrivera.
Pour sauver ma peau, un jour je sais qu’il faudra me résigner à le placer. Il faudra le faire. C’est une décision que je prendrais avec mes enfants. J’ai de la chance, ils sont très présents. On en parle souvent, ils voient bien ce que je vis et ils me plaignent. Mais moi, je ne veux pas le laisser comme ça. Je veux m’en occuper jusqu’au bout. Je ne veux pas avoir de regrets. Quoi qu’il arrive, je ne veux pas culpabiliser, je veux vivre librement quand il ne sera plus là. Je veux me dire que j’ai fait le maximum. Je fais tout ce que je peux pour lui, il ne manque de rien. Vous savez les regrets, ça ne sert à rien. Je vois des gens qui disent : « Ah si j’avais su, oui elle était gentille maman mais on ne s’en occupait pas ». Moi je ne veux pas à avoir à dire ça. Ça me fait mal d’entendre des choses comme ça. Quand je fais des ateliers avec les résidents de la maison de retraite, parfois je les entends dire : « ils ont vendu mon bien, c’est dommage car on aurait pu faire autrement ». Certains se sentent abandonnés par leur famille qui vient rarement les voir.
Quand je suis déprimée, je m’occupe ou je vais marcher, me balader. Ce n’est pas une fuite, c’est pour me changer les idées. Ça me détend, ça me fait du bien. Ça me permet de reprendre mes esprits pour aller mieux. Les groupes de parole m’éclaircissent aussi les idées. C’est intéressant. La psychologue nous redonne du courage. Elle nous donne des conseils aussi. Mais on ne parle pas trop entre aidants. On fait attention à ce que l’on dit, on ne peut pas se permettre de se livrer vraiment, dire tout ce qu’on ressent. Les autres personnes aussi gardent leur misère pour elles. Moi, ça me convient. Je n’ai pas forcément envie de créer du lien avec elles. Je me dis que si on se voyait en dehors du groupe, on ne ferait que parler de maladie, de nos histoires et moi je n’en ai pas besoin, j’ai déjà ma peine pour moi. Je pourrais voir la psychologue toute seule si je voulais. C’est compris dans le forfait mais pour l’instant je n’en éprouve pas le besoin. J’arrive à concilier ma vie avec mon mari et ma vie à moi. Et puis, mes enfants sont très proches de moi. Ils ont toujours été comme ça. Ils sentent quand je ne vais pas bien même si je ne leur dis pas. Ils viennent plus souvent qu’avant. J’ai beaucoup donné à mes enfants, je voulais qu’ils aient une situation. Moi je suis une enfant de la guerre. Je n’ai pas eu la chance de faire des études. Ils ont réussi et je pense qu’ils m’en sont reconnaissants.
Elisabeth, vous semblez avoir trouvé un équilibre entre votre vie d’aidante et votre vie à vous, quels conseils aimeriez-vous donner à ceux qui vous liront ?
Je dirais qu’il ne faut pas s’enfermer. Il ne faut pas rejeter ce qu’on nous propose à l’extérieur. Il y a plein d’activités pour les seniors, des choses qu’on peut faire sans que ça prenne beaucoup de temps. Moi, je suis allée au club senior et j’ai pris des brochures. Il faut penser à soi aussi sinon ce n’est pas possible. Pour moi, c’est essentiel de pouvoir faire des choses en dehors de la maison. Ça permet de se ressourcer, pas d’oublier mais de s’occuper de soi, de se respecter, ça fait du bien.
Il faut être courageuse, il faut lutter, ne pas se laisser abattre parce que si on se laisse aller, si on baisse les bras, finalement, c’est comme si on était deux malades ! II faut s’organiser pour les tâches de la maison et se réserver des activités pour soi. Chaque jour est un autre jour. On est face à ça, on ne peut pas faire autrement. Ça ne sert à rien de regarder le passé, on n’avance pas. Dans la vie il faut se donner des objectifs. Le mien, c’est de faire tout ce que je fais. Je fais quelque chose pour moi tous les jours. Je ne pars pas longtemps, c’est souvent sur une heure ou deux maximum : le lundi, je fais ça, le mardi je vois une copine par exemple et ainsi de suite. C’est important sinon quoi ? On se plaint, on se lamente. Ça sert à quoi ?
Mon mari peut rester seul pour le moment, j’ai de la chance mais il y a des bénévoles qui peuvent venir à domicile pendant que vous sortez.
Je crois qu’il faut le vouloir. Il faut se bouger. Bien sûr, quand on rentre la maladie est toujours là mais on se sent bien. On s’est fait plaisir, on a vu des gens, on a parlé, on a fait quelque chose qui nous plaît, qui nous détend et ça permet de tenir le coup. Moi, je ne sais pas comment je supporterais si je n’avais pas mes activités. Quand on ne fait rien d’autre, on peut devenir maltraitante, et ça je ne veux pas.
Bien sûr, on n’a pas tous la même façon de réagir mais pour moi, c’est essentiel de maintenir du lien social, de sortir, se promener, faire les boutiques, même toute seule. On le fait pour soi. Ça chasse le cafard jusqu’à la prochaine fois.
Retrouvez la première partie du témoignage d’Elisabeth en cliquant ici.
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