Aidants : faites attention aux pensées dysfonctionnelles
Il est si vite arrivé de gâcher un précieux moment auprès de notre proche malade en se laissant submerger par un de ces jugement hâtifs, déconnectés de la réalité, que la fatigue et les soucis suscitent en nous. Voici quelques conseils pour dompter ce redoutable ennemi intérieur que sont les pensées dysfonctionnelles.
Parmi les obstacles que l’aidant familial peut rencontrer, il en est un, moins évident, qu’il serait dangereux de sous-estimer : l’aidant lui-même ! Eh oui, le rythme intense au chevet de son proche malade, associé aux soucis causés par l’inéluctable dégradation de son état, en fait la proie facile des pensées dysfonctionnelles.
Pensées dysfonctionnelles, c’est quoi ?
C’est ainsi que le psychiatre américain Aaron Beck qualifie les idées rigides et peu rationnelles qui nous envahissent dans les moments difficiles : en faussant notre vision de la réalité et en nous enfermant dans des principes figés, elles empêchent de réagir de façon adaptée aux différentes situations. Au lieu de mobiliser l’aidant comme il en aurait besoin, elles le crispent et le freinent.
Par exemple : « Mon proche malade ne me reconnaît pas : il ne m’aime plus ! » ; « Je ne délèguerais rien, car personne ne peut s’occuper aussi bien de lui que moi ! » ; « J’ai envie de tout abandonner, mais je dois tenir, d’autres y sont bien arrivés », etc.
Quel est le risque ?
Le psychologue chercheur espagnol Losada s’est justement penché sur les répercussions de ces pensées dysfonctionnelles au sein d’une population d’aidants. Il en relève deux principales : d’une part, la mauvaise interprétation du comportement du malade (par exemple : « Il fait exprès de me poser toujours la même question juste pour m’agacer ! »), qui laisse la porte ouverte à l’exaspération, à la colère, à l’incompréhension, aux disputes… ; d’autre part, la négligence personnelle (au lieu de déléguer, l’aidant renonce à ses loisirs et ses sorties pour se dévouer entièrement à son proche malade), qui mène à la tristesse, au surmenage, au stress, à l’isolement et pour finir, à la dépression…
Tant et si bien que l’aidant ne se trouve plus d’une grande aide au bout du compte !
Reconnaître nos pensées dysfonctionnelles…
Alors comment faire ? Tout abandonner et laisser son proche malade entre les mains d’un autre ? Pas forcément ! Ces pensées dysfonctionnelles ne sont pas inexorables. Il est possible de les désamorcer avant qu’elles ne nous fragilisent. Il s’agit d’abord de les reconnaître parmi le flot continuel des idées qui traversent notre esprit : en cas d’émotion forte, prenons le temps d’écouter ce discours interne et interrogeons-le. Tel jugement est-il adapté à la situation ? Positif ? Me rend-il heureux ? Est-ce qu’il m’aide à avancer ?… Si la réponse est systématiquement « non », je viens sans doute de mettre le doigt sur une pensée dysfonctionnelle. Une fois identifiée, elle doit être mise à distance.
… et défusionner avec elles
Pour cela, Beck propose de lui opposer une pensée « alternative », c’est-à-dire une autre façon de considérer la situation. Par exemple, je viens de me disputer avec mon père malade, et la pensée dysfonctionnelle qui s’impose à moi est : « Il ne m’aime plus, alors que je fais tout pour lui, c’est injuste » ; au lieu de me laisser abattre, je m’empêche de prendre cette idée pour la vérité et je me demande comment aurait réagi mon meilleur ami à ma place, ce que dirait mon père malade s’il m’entendait ou je fais le procès de cette idée en pesant le pour et le contre (« La journée était très éprouvante pour papa ; il s’est sans doute agacé parce qu’il était fatigué ; rien à voir avec ses sentiments pour moi », etc.). Cette prise de recul mènera nécessairement à une conclusion plus bienveillante pour mon proche et moi-même, qui m’apaisera et m’aidera à adopter le comportement adéquat.
À force de « défusionner » ainsi avec nos idées, nous assouplissons nos perceptions et nos réactions. Une clé précieuse pour vivre au mieux chaque instant au côté de notre proche malade !
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