Annulation de l’interdiction de gratifier un salarié à domicile ou une institution d’hébergement
Le Conseil constitutionnel, par une décision N°2020-888 – QPC du 12 mars 2021, a déclaré totalement contraires à la Constitution les textes du code de l’action sociale et des familles et du code du travail, issus de la loi d’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015, destinés à protéger les personnes dépendantes du détournement de leur patrimoine par les personnes qui compensent leur dépendance à domicile ou qui les hébergent. En conséquence, les aidants évincés se trouvent ainsi en difficulté pour combattre l’abus de faiblesse dont leur proche est ou a été victime. Quelles sont les conséquences de cette décision pour les proches aidants confrontés régulièrement à l’isolement de leur proche par la personne qui s’occupe de lui et trahit leur confiance ?
De quoi parle-t-on concrètement ?
Les actes concernés sont les libéralités (donations, testaments), la location d’un bien, la cession d’un droit, l’occupation du logement de la personne.
Est concernée par l’interdiction toute personne (salarié, bénévole, volontaire, accueillant familial agréé) ainsi que ses proches : conjoint, partenaire, concubin, ascendant, descendant, et toute personne morale (société, association) soumise à autorisation ou agrément.
Les situations visées sont toutes les situations d’hébergement ou d’aide à domicile, l’assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux autres personnes qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité favorisant leur maintien à domicile ; les services aux personnes à leur domicile relatifs aux tâches ménagères ou familiales.
En quoi consistait cette « interdiction » ?
Cette interdiction se rapprochait de l’impossibilité de recevoir des libéralités visant les professions médicales, pharmaciens, auxiliaires médicaux et ministres des cultes ayant prodigué des soins pendant la maladie dont le proche meurt. Les mandataires judiciaires professionnels y étaient aussi soumis quelle que soit la date de la libéralité.
Dans sa décision d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a reproché à la loi sa trop grande généralité. Il a considéré que l’interdiction était d’un périmètre trop large et trop général et n’a pas prévu d’exceptions suffisantes :
« Il ne peut se déduire du seul fait que les personnes auxquelles une assistance est apportée sont âgées, handicapées ou dans une autre situation nécessitant cette assistance pour favoriser leur maintien à domicile que leur capacité à consentir est altérée ;
les services à la personne définis par la loi recouvrent une multitude de tâches susceptibles d’être mises en œuvre selon des durées ou des fréquences variables. Le seul fait que ces tâches soient accomplies au domicile des intéressées et qu’elles contribuent à leur maintien à domicile ne suffit pas à caractériser, dans tous les cas, une situation de vulnérabilité des personnes assistées à l’égard de ceux qui leur apportent cette assistance ;
l’interdiction s’applique même dans le cas où pourrait être apportée la preuve de l’absence de vulnérabilité ou de dépendance du donateur à l’égard de la personne qui l’assiste. »
Au vu de cette décision du Conseil constitutionnel, tout aussi malencontreuse par sa généralité que la loi qu’elle conteste, que peut-on faire pour protéger les personnes de la maltraitance financière qui stérilise leur volonté et anéantit leur capacité à consentir ?
Le droit de propriété, garanti par la Constitution, et son corollaire, le droit d’en disposer librement doit-il recevoir une protection absolue ?
Comment dépister « une situation particulière de vulnérabilité vis-à-vis du risque de captation d’une partie de leurs biens par ceux qui leur apportaient cette assistance » ?
Est-il nécessaire de privilégier les héritiers, qui souvent ne se présentent que pour préserver leur héritage, ayant délégué la prise en charge de leur parent à du personnel salarié, souvent maltraité lui aussi ?
Celui qui a reçu chez lui la personne pour en prendre soin, ne mérite-t-il pas plus que la maigre rémunération prévue par les conventions collectives, pour avoir consacré son temps et son énergie à une difficile prise en charge sur plusieurs années parfois ?
Une définition des « professionnels » parfois difficile à établir
Il faut souligner aussi l’incongruité du droit du travail, qui qualifie d’employeur, chargé du pouvoir de direction sur son salarié, subordonné, dirigé, contrôlé, surveillé et rémunéré par la personne dont il est chargé justement de compenser la dépendance.
Certes, une personne handicapée dépend de son assistant, mais pour autant faut-il lui interdire toute volonté de rémunération particulière, expression de la gratitude liée aux liens particuliers qui les relient et sont souvent du domaine de l’affectif ?
Tout professionnel de la protection des majeurs sait combien il est difficile de mesurer la différence entre le réel dévouement, fondé sur l’affection, et l’emprise maltraitante qui anéantit la volonté.
Par définition la personne dépendante, confinée à son domicile par les effets de son état de santé, se trouve affectivement vulnérable, comme l’est chacun d’entre nous lorsqu’il se trouve en état de faiblesse en raison d’un deuil, d’une séparation, d’un accident de santé ou d’une difficulté professionnelle. Faut-il faire une confusion avec les situations à domicile, génératrice d’isolement et celles en établissement, qui sont contrôlées et où les regards professionnels sont multiples ? Lorsqu’elle récupère sa lucidité, la personne est honteuse de s’être fait avoir. Le traumatisme est considérable et pour l’éviter, l’interdiction générale de toute gratification n’était-elle pas efficacement dissuasive ?
Le Conseil constitutionnel a reproché au texte de ne pas avoir prévu la possibilité d’apporter la preuve contraire. Il est regrettable de renvoyer les victimes de malversations vers le contrôle a posteriori par le juge, lorsque l’on sait combien il est difficile d’apporter la preuve de la nullité d’un acte juridique comme une donation ou un testament, surtout par les héritiers lésés.
La personne vulnérable et ses proches seront-ils contraints de prouver qu’elle ne l’était pas lorsqu’elle a gratifié un tiers ? Il s’agit, surtout post mortem, d’une preuve quasi impossible, même si les ayant-droit bénéficient du libre accès au dossier médical. Il s’agit d’une procédure devant le tribunal judiciaire avec ministère d’avocat obligatoire et qui peut durer pendant des années.
Envisager une prévention systématique
Le mandat de protection future dans lequel la personne décide elle-même, du temps de sa capacité, de qui s’occupera d’elle et de ses affaires si elle devenait incapable de le faire, étant rappelé qu’un contrôleur du mandat, même notarié, est indispensable.
Ce mandat devra être rédigé par un professionnel pour que le consentement de la personne soit garanti et vérifier son indépendance par rapport au futur mandataire.
Le législateur pourrait aussi envisager d’inverser le sens de la preuve : ne pas prévoir une incapacité générale à recevoir dans une situation indéterminée, mais une présomption d’impossibilité qui pourra s’ajouter aux vices du consentement, comme la violence, les manœuvres frauduleuses et l’erreur. Cette présomption pourra dépendre de la mesure du degré de dépendance, comme par exemple par la grille AGIR pour l’APA qui peut être un bon modèle de référence. Mais tout le monde ne dépend pas de l’APA.
Ce sera alors à la personne gratifiée de prouver que son employeur ne dépend pas de leur relation au point d’avoir abandonné tout sens commun et oublié tous les liens familiaux antérieurs.
Le médecin traitant devra être vigilant et montrer son indépendance vis-à-vis de l’entourage, tout en conservant le lien de confiance qui lui permet d’entrer au domicile et d’établir les certificats médicaux décrivant ce qui s’y passe.
Les médecins doivent apprendre à mesurer le degré d’emprise sur des personnes qui parfois ne présentent pas de troubles cognitifs ou psychiques. Car il peut y avoir une emprise positive et la tâche est délicate. C’est pourquoi, une mesure d’ordre général avait été considérée comme nécessaire.
Du vivant de la personne, une bonne protection exige un entourage bienveillant et déterminé. Souvent les personnes exclues par l’abuseur, surtout s’il est à demeure, obtempèrent à ses injonctions. La personne est prise dans un conflit de loyauté délétère. S’ils veulent la protéger, les proches ne doivent pas céder. Ils ne doivent pas hésiter à saisir le juge de la protection des majeurs pour faire en sorte de préserver la personne de ce conflit par une décision proportionnée et individualisée, qui sera la garantie du respect des liens antérieurs et de la stabilité financière dans le respect des droits présents de chacun. Ce sera au juge de comprendre qu’il ne s’agit pas d’un conflit entre les proches, mais d’une relation d’emprise dont la personne doit être protégée.
Le législateur avait envisagé de prévenir l’abus de faiblesse. Le Conseil constitutionnel a considéré qu’il est allé trop loin. Il est ainsi bien difficile de concilier la sécurité financière d’une personne avec la liberté de chacun d’agir comme il l’entend. Il est essentiel de commencer par recueillir, éventuellement a posteriori, son consentement à la libéralité contestée dans des formes que le législateur devra définir de manière plus précise.
Ainsi, au lieu de préserver un droit abstrait de disposer de ses biens, pourront être préservés les droits de la personne elle-même à la liberté, la dignité et la sécurité.
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