Partie 2 – Comment éviter l’emprise dont mon proche est victime ?
Dans un précédent article, nous avons évoqué les mécanismes de l’emprise que subissent certains de nos proches. Cette situation cause une grande souffrance que les avocats constatent dans leur cabinet lorsqu’ils sont consultés dans des dossiers pour abus de faiblesse. La plus grande difficulté consiste à prouver la manipulation. Comment faire constater ces mécanismes souvent subtils et difficiles à détecter et à prouver ?
Le mécanisme et ses conséquences
Comprendre le mécanisme relève souvent du domaine médical : le récit des proches, l’examen du dossier médical et des expertises afin de placement sous protection judiciaire permettent de décrire les mécanismes de l’emprise :
- L’état physique et psychique de la personne : la personne est victime d’une dépression suite à un deuil, une maladie ou le sentiment de la perte d’autonomie. Elle souffre physiquement souvent mais aussi psychologiquement car elle est consciente de la dégradation de ses capacités ;
- Le besoin affectif et matériel : cette dépression crée une dépendance exagérée, les anglo-saxons évoquent une « influence indue » à l’égard de la victime par la personne qui apporte de l’aide, matérielle et psychologique. L’isolement progressif, soigneusement orchestré : le tiers commence par aider, valoriser sa victime, se rend indispensable. Ensuite, la menace et la méchanceté alternent avec les compliments, dans le but de se faire obéir. S’installe une dépendance affective, qui éloigne la personne de la réalité des choses mais surtout de son passé. La personne dépendante affectivement devient réticente aux visites, aux déplacements. Elle invoque sa fatigue. Sa famille souvent comprend la situation et n’insiste pas dans le respect de sa volonté et de sa douleur. Mais rapidement, cette famille est accusée d’abandon et la victime se trouve placée en conflit de loyauté, interdite d’aimer quelqu’un d’autre que la personne dont elle est dépendante, devient agressive à l’égard de ses proches, leur formule des reproches nouveaux qu’ils ne comprennent pas. Le dénigrement des proches est la source de la rupture affective ;
- Défaut de soins ou au contraire sur-médication : l’absence de soins maintient la personne âgée dans sa douleur physique. La dépression empêche toute réaction. On constate aussi la mauvaise nourriture, le défaut de stimulation physique et intellectuelle. La personne ne marche plus, ne fait plus d’efforts ce qui accélère son vieillissement. Ce peut être au contraire un abus d’antalgiques opiacés voire même de neuroleptiques qui dégradent les fonctions cognitives et la rendent sans réaction.
Le mécanisme est exactement le même que celui utilisé par les sectes.
Les conséquences constatées :
- Le changement du comportement : insultes, rejet des règles, agressivité parfois sexuelle, impudeur. L’entourage ne reconnaît plus la personne « ce n’est plus mon père qui nous a inculqué la rigueur morale, ou ma mère qui nous a si bien élevés… »
- La désinhibition : est le principal symptôme. Il s’agit de la perte de tous les repères affectifs, moraux, sociaux. Ce symptôme explique le changement de comportement;
- Le déni de la maladie (anosognosie) souvent rencontré en psychiatrie, est un symptôme tout aussi caractéristique : « J’ai toujours été responsable (de ma famille, de mon entreprise …) je sais ce que je fais, j’ai fait beaucoup pour mes enfants, voyez comme ils sont ingrats… ». La personne veut que tout le monde s’entende mais se trouve dans le déni total des difficultés. Il s’agit d’un élément important du diagnostic que les médecins ne retiennent pas assez car ils ne se réfèrent pas à l’avis des proches ;
- La souffrance de la personne est évidente alors qu’une personne qui agit volontairement est gaie, dynamique et se justifie clairement. La souffrance des proches est tout aussi importante : les enfants, petits enfants, voire arrières petits enfants, souffrent de ne plus pouvoir maintenir les liens familiaux, des rancœurs apparaissent, certains abandonnent et ne cherchent plus à entrer en relation car il est très dur de combattre la situation de fait que l’on subit car elle s’ajoute au constat de la perte des facultés d’un parent.
La contre-emprise : que faire pour résister sois-même et permettre à son parent de résister à l’emprise ?
- Occuper le terrain, ne jamais lâcher : maintenir sa place fermement d’enfant qui a des droits et obligations et qui est prêt à les assumer ;
- Toujours rappeler la loi, quitte à faire appel au juge des tutelles qui a pour obligation de préserver les liens familiaux et peut statuer pour ordonner des rencontres. Il faut savoir aussi que l’hébergement en maison de retraite permettra de renouer les liens dans une plus grande liberté;
- Se montrer le plus fort. Le pervers est un être faible qui a trouvé plus faible que lui. Ne pas hésiter à imposer la présence de la famille et remettre l’autre à sa place.
- Imposer sa présence. Etre toujours là pour son proche, de façon ludique, positive pour rappeler les bons moments du passé, les projets pour l’avenir, donner des nouvelles de ceux qui sont loin ;
- Ne jamais faire de reproches à la personne ainsi violentée, faire en sorte qu’elle se sente aimée, entourée, en confiance, plus en sécurité qu’avec son abuseur.
Comment prouver l’emprise ?
- Convaincre le médecin traitant, qui souvent est trop complaisant à l’égard de la maltraitance sous prétexte de secret professionnel et de respect de la volonté de la personne. En réalité, sa déontologie l’oblige à signaler tout fait de maltraitance sur une personne vulnérable. Il a l’obligation de faire respecter ses prescriptions ;
- Faire appel à un neuro-psychiatre, spécialiste en gériatrie, pour rendre objectif l’état de dépendance qui n’est pas forcément lié à des troubles cognitifs. Un tel spécialiste saura poser les bonnes questions pour détecter la liberté de pensée et de comportement d’une personne âgée. On est souvent frappé dans les procédures en nullité des actes juridiques signés sous emprise, comme la nullité d’un testament, combien les médecins experts savent détecter dans un banal dossier médical les éléments qui permettent de mesurer le degré de dépendance d’une personne à partir de son état physique. L’intervention d’un vrai spécialiste conduira aussi à des soins adaptés, que le médecin généraliste pourra ensuite continuer.
La tâche d’empêcher l’emprise de s’installer n’est pas facile. L’intervention préventive doit se faire pendant qu’il en est encore temps, au moment où le proche peut encore être alerté et en état de résister, mais aussi à un moment où les signes commencent tout juste à se manifester et ne sont pas encore évidents.
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